Hors Programme - Liberté 🗽 - numéro #51
Bonjour à tous,
Depuis quelques semaines, avec la fin du confinement, j’ai le sentiment que rien finalement n’a changé dans mon quotidien. Les habitudes sont les mêmes et mes déplacements, de façon consciente ou inconsciente, sont toujours limités au minimum. C’est le cas pour beaucoup d’entre nous peut-être. Je trouve fascinant et un peu terrifiant de voir à quel point deux petits mois auront suffit à nous conditionner. Est-ce le choc des mots, des images ou des chiffres ? Leur flot discontinu peut-être ? Dans tous les cas un constat s’impose. Même libérés, nous restons d’une certaine manière contraints. Cette contrainte est volontaire, nous la comprenons et l’acceptons. Nous l’intériorisons même, à différents degrés.
Nous l’intériorisons d’autant plus que la privation de liberté s’impose depuis le début comme la solution unique : directe avec le confinement, indirecte avec le suivi anonymisé ou non, en France ou ailleurs, de tout le monde via des applications ou nos téléphones portables.
Dans “Préparons nos enfants à demain”, permettre à nos enfants d’exercer leur liberté était l’une de mes principales préoccupations. En encourageant leur capacité à demeurer critique, à interroger le monde autour d’eux (et les écrans), à une époque où cela devient bien plus compliqué, y compris pour nous adultes. Je réalise aujourd’hui à quel point cette question de la liberté se pose, non seulement à l’échelle individuelle pour garantir que chacun soit en mesure d’exercer sa liberté, mais également à l’échelle de la société toute entière.
👁Comment apprendre aux enfants la liberté, à une époque où elle est tant malmenée, y compris par l’autorité publique ?
Même si je n’ai pas de réponse à cette vaste question, je vois quatre niveaux, plus ou moins applicables selon l’âge des enfants :
questionner ce fameux flot ininterrompu d’informations, c’est le réflexe le plus évident et immédiat ;
exercer notre liberté avec les enfants, liberté de jugement et de mouvement, même si cela implique de désobéir. Du moment où c’est argumenté, il faut parfois apprendre à désobéir. Et dans notre société, sans doute est-ce nécéssaire de l’apprendre tôt. En avril, sortir dans les bois trop loin, trop longtemps avec mes enfants, faisait pour moi partie du programme ;
Tirer de ces quelques exercices pratiques de quoi aborder le droit à la désobéissance. Pour que la figure du policier ne soit pas indépassable, et que “loi” ne rime pas nécessairement avec “ordre”. Et enfin pour les plus grands, en profiter pour découvrir et comprendre la notion de servitude volontaire.
Le quatrième niveau est poétique et consiste à relire le poème qui à lui seul résume ce que “liberté” signifie :
“Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.”
Paul Eluard
La tentation est grande de revenir sur chaque mot, mais je réalise qu’il suffit à chacun de lire et relire, pour comprendre à quel point ce texte léger et coulant n’est pas seulement une invitation au voyage. Il nous oblige en tant qu’homme et femme, citoyen et parent.
Belle journée à tous,
Matthieu