Bonjour à tous,
Je suis frappé d’entendre encore des gens parler d’un “après”, comme si cette crise n’était qu’une parenthèse. S’il est probable qu’elle s’estompe, elle déteint déjà sur la société et chacun de nous. Elle rend envisageables des choses qui ne l’étaient pas avant, qu’il s’agisse de lois - qui façonnent nos États - ou simplement d’habitudes - qui déterminent notre quotidien.
Bref, il faut voir dans ce qui se joue aujourd’hui un avant-goût de demain, plutôt que quelque chose qui restera derrière nous. Comme le dit William Gibson, le futur est déjà là, il est juste distribué de façon inégale. Cela, on le ressent - jusque dans nos rêves pour certains, mais il est difficile de l’articuler à une analyse claire. Cette analyse, le US National Intelligence Council (NIC) la partage dans le dernier rapport qu’il consacre aux tendances globales jusqu’en 2040. Voici sa thèse :
“Much like the terrorist attacks of Sept. 11, 2001, the Covid-19 pandemic is likely to produce some changes that will be felt for years to come and change the way we live, work and govern domestically and internationally,” the report said. “How great these will be, however, is very much in question.”
J’aimerais revenir sur quelques idées de ce rapport, en les croisant avec d’autres anecdotes et lectures.
Ce qui nous sépare 👀
J’ai eu la chance de passer quelques jours de vacances avec mes enfants dans un lieu à part, au bord de l’océan. Quelqu’un me confiait qu’on s’y sentait comme coupé du monde, loin, trés loin de son tumulte. Il disait cela d’un air à la fois enchanté et inquiet. On s’isole pour se protéger, tout en risquant de perdre de vue le monde qui nous entoure, ou de ne plus le voir comme les autres.
Cette pandémie fracture le corps social. Mais avec elle d’autres forces sont à l’oeuvre : l’effondrement de la confiance des citoyens dans leurs gouvernements, le fait que les médias sociaux informent des visions sans cesse différentes et souvent conflictuelles du monde, et bien sûr l’accentuation des inégalités économiques. Au final, Maria Langan-Riekhof, la directrice du groupe des futures stratégiques du NIC conclut :
“Overlay those trends I’m describing, and you kind of see that recipe for greater divisions, increasing fracturing. We think that is likely to continue and probably worsen. (…) At the same time that populations are increasingly empowered and demanding more, governments are coming under greater pressure from new challenges and more limited resources,” the report said. “This widening gap portends more political volatility, erosion of democracy and expanding roles for alternative providers of governance. Over time, these dynamics might open the door to more significant shifts in how people govern.”
D’un côté la défiance, de l’autre de nouvelles formes de militantisme, voire d’activisme qui montrent une volonté de mieux vivre ensemble à plusieurs échelles : celle de la communauté locale, de la nation ou de la terre entière. Il y a bien un besoin de lien et la volonté de construire ensemble. La question est de savoir à quel type de communautés cela peut donner lieu.
Ce qui réunit 💕
Il y a quelques années, un petit groupe de dirigeants de hedge funds avaient fait venir devant eux un expert pour leur permettre d’affiner leur plan de sauvetage en cas de catastrophe majeure dans leurs “escape pods”. La réponse de l’expert en question (lien de l’article ci-dessous) fut pour eux quelque peu decevante :
“Being human is not about individual survival or escape. It’s a team sport. Whatever future humans have, it will be together.”
Vivre et construire une société ou une communauté ensemble reste le meilleur moyen de prévenir les catastrophes, mais aussi de s’en remettre.
Une fois que cela est posé la question est de savoir à quelle échelle. L’État-nation est pour nous le modèle indépassable, même s’il est de plus en plus en crise.
Des micros-communautés, qui existaient déjà avant le crise sanitaire, se sont mutlipliées depuis l’année derniére, aux Etats-Unis ou ailleurs. Je songe aux Hackers Spaces pour les digital nomads, mais aussi à d’autres lieux où des communautés aspirent à vivre autrement, en faisant la promotion de la décroissance et d’un mode de vie plus respectueux de l’environnement. En France, ce sont les Oasis de Colibri. D’une certaine manière, ils évoquent la GreenSchool dont je parlais dans mon premier livre. Bref, ces lieux sont appelés je pense à se multiplier, voire même à se généraliser. Au même moment, des villes réfléchissent à devenir autosuffisantes, au risque de se désolidariser du reste de leur pays. C’est ce qu’il se passe au Cap, avec l’éléctricité. Communautés de valeurs. Communautés de ressources. Des groupes, qui ne sont pas des États, se forment, qui créent leurs propres régles, leurs propres monnaies, leurs propres services.
Farm house - Berkley
Dés lors, pourquoi ne pas créer notre propre État ? Si l’on peut créer tout cela, repenser les éléctions, définir les modalités de l’exercice du pouvoir, etc. C’est la question de pose Balaji Srinivasan en détaillant toutes les raisons et les modalités qui permettent de le faire. Mieux, il offre de l’argent à quiconque décrira le mieux la façon de le faire.
À quoi éduquer ? 💁
Historiquement, l’école de la République est sensée éduquer les enfants pour les préparer à assumer une fonction de la société, au travers d’un métier, mais également en tant que citoyen. Le seul modèle qu’elle enseigne est celui de l’Etat-nation, dans lequel le sujet est sensé jouer un rôle actif au façonnement de la cité, en prenant part aux débats et en votant pour les représentants qui lui paraissent le plus aptes à exercer le pouvoir en son nom.
Contrairement à certains auteurs cités plus haut. Je ne suis pas libertarien, ni même un révolutionnaire désireux d’en finir avec l’Etat-nation et encore moins avec l’État-providence, qui nous protége plus que jamais.
Néanmoins je constate que ce modèle n’est plus incontournable et sera d’ici quelques décénnies dépassées de toutes parts. C’est la raison pour laquelle il me paraît important d’enseigner à nos enfants une histoire ouverte, dans laquelle l’État n’est qu’une forme d’organisation, pas nécéssaire optimale ni juste, qui convient à son époque (les ados par exemple peuvent relire le traité de Wesphalie). Et de doubler cet enseignement par l’usage d’outils qui permetteront demain de former des communautés de valeurs ou d’action à des échelles supra ou infra-étatiques. Les DAO dont je parlais le mois dernier sont un exemple (depuis légalisé au Wyoming).
Bon week-end à tous,
Matthieu
Curieux d’en savoir plus ? 🔗
Un bon résumé du US Intelligence Report
Comment se préparer aux méga-désastres ?
La crise de l’énergie à Cape Town, vu par le MIT
Seeing like a State: How Certain Schemes to Improve the Human Condition Have Failed (Un livre de James C Scott.)